J’interviendrai sur le sujet : L’école apprend la citoyenneté
L’éducation à la citoyenneté sera au centre du congrès Mlf/OSUI 2016 qui réunira en mai prochain, à Casablanca, les personnels d’encadrement des établissements du réseau mlfmonde.
Mon programme :
Lundi 9 mai
17h15-18h00 Conference-musicale
À quoi sert la poésie ?
Avec les élèves des Lycées Mermoz (Abidjan), Le Détroit (Tanger) et Brassens (Paris)
Mercredi 11 mai
10h45-11h00 ~ Témoignage
Chant choral
Avec le Groupe scolaire Louis Massignon de Casablanca
11h00-11h45 ~ Leçon 7 : les territoires de la sensibilité et de la créativité
Avec Catherine Becchetti-Bizot, Touraya Bouadib, Laurent Desse
Les attentats de 2015 ont mis la société française à l’épreuve de la barbarie. Ces silhouettes masquées, ces imprécations, ces violences : de quels tréfonds, de quelles marges venaient-elles ? Quelle cécité ou quel trop-plein de confiance en avaient occulté la réalité ? Par quelles faiblesses, quelle inattention de nos institutions avaient-elles pu advenir ? La patrie des droits de l’Homme, de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, doutait d’elle-même.
La guerre galvanise et rassemble la patrie contre l’ennemi de l’extérieur. Au contraire, quand l’ennemi surgit du plus profond d’elle-même, la société s’angoisse d’être devenue vulnérable. Passé le temps de l’invocation aux « valeurs », passé celui du rassemblement symbolique des nations éprises de liberté contre l’obscurantisme, il a fallu chercher les failles. Chargée d’instruire les jeunes dans les valeurs et repères historiques constitutifs de la communauté nationale, l’école a été interrogée, car dans quel pays ne joue-t-elle pas ce rôle, et dans quel pays est-elle plus qu’en France investie de faire naître le citoyen en la personne ?
Les premières mesures ont concerné la formation – aux valeurs de la République, à la laïcité, qui fonde le droit à la liberté de conscience, à la maîtrise et à la transmission de la langue nationale présumée procurer à chacun les chances de jouir des droits à l’égalité et à la dignité. Au même moment, un rapport du conseil national de l’évaluation scolaire mettait le doigt sur un paradoxe : nulle part plus qu’en France on n’apprend la citoyenneté ; pourtant la socialisation citoyenne y est moins efficace qu’ailleurs. Instruire l’enfant dans la citoyenneté suffit-il pour faire germer l’homme politique ? Trop conceptuelle, ou trop ancrée dans la transmission de références et d’une mémoire dont le sens s’est affaibli pour beaucoup de jeunes, l’école française appellerait-elle en creux une autre pratique scolaire, préparant plus efficacement à l’engagement social et civique, désignant les valeurs de la citoyenneté non comme des icônes mais comme des principes et des pratiques encore possibles et nécessaires ?
Mais quelle citoyenneté pour l’école française à l’étranger qui accueille plus de deux tiers d’élèves nationaux, où des dizaines de nationalités différentes et toutes les formes d’appartenance culturelle, confessionnelle se côtoient ? Déjà en janvier, on observait, comme en France, qu’un nombre non négligeable des élèves, sans rejeter les valeurs de l’enseignement français, refusaient toutefois d’être Charlie. Dans certains pays, les jeunes nationaux qui le voudraient sont interdits d’accès à nos écoles par l’Etat, et dans d’autres, le regard de l’Etat sur les programmes se fait de plus en plus pressant. Enfin, l’appréciation positive que les familles ont de notre enseignement ne doit pas faire illusion sur une adhésion de toutes à la vision qu’il véhicule de l’homme en société.
Dans tous les Etats souverains, la citoyenneté est le ciment national. Si l’enseignement français à l’étranger, vecteur de rayonnement d’un message universaliste veut conserver voire étendre son empreinte, la pédagogie d’un enseignement de la citoyenneté ne peut résulter d’une simple transposition depuis l’espace national. Déjà, la diffusion de la charte de la laïcité est laissée à l’appréciation des chefs de mission diplomatique, preuve que le concept est rien moins qu’exportable.
Le concept de citoyen du monde est séduisant, mais permet-il de tourner la difficulté ? La cité grecque antique où puise notre représentation moderne de la citoyenneté, appelait cosmopolitisme l’aspiration à une communauté humaine universelle. L’idéal a traversé les siècles. La citoyenneté européenne a par exemple récemment pris une consistance juridique, tandis que la recherche de convergences autour des idéaux de paix et de bien-être, la nécessité d’un développement durable et protecteur des valeurs de vie, progressent dans la conscience universelle, selon les principes énoncés dans la Charte des Nations Unies. L’UNESCO promeut une éducation à la citoyenneté mondiale, qu’elle pose comme fondement d’un monde solidaire et responsable. Cette année, la France accueille la COP 21, exceptionnelle mobilisation mondiale des savoirs contre les opinions et contre les groupes d’intérêt autour des enjeux liés au réchauffement climatique et donc de l’évolution des conditions de la vie sur la terre. C’est peut-être le sujet le plus parlant pour suggérer que le rêve de la mondialisation ne saurait oblitérer le besoin d’une forme de citoyenneté mondiale, liée à la question des conditions de l’avenir de l’Homme. Mais sauf à rester à l’état d’utopie, elle n’a pas de chance de s’incarner si on oublie qu’avant le monde, les jeunes ont besoin de percevoir ce qu’est la nation, le tracé des frontières, le poids humain des réalités locales, tout cet héritage qui les constitue avant qu’ils puissent s’emparer de la citoyenneté.